« Les chrétiens résident, chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers.
Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. »
Épître à Diognète (fin 2è siècle)
Étrangers et voyageurs sur terre
L’étranger est celui qui met en question ma manière de vivre et de penser, ou qui du moins les relativise, qui me déstabilise dans mes certitudes culturelles et dans mes valeurs quotidiennes, celui qui dit ce qu’il ne faut pas dire, qui met ses pas là où il ne faut pas marcher, dont le comportement étonne, dérange ou fait rire.
C’est notre rôle à nous chrétiens d’être des étrangers, de fragiliser, de décaler, de déstabiliser les valeurs de ce monde. Et peut-être l’humour est-il une de nos armes ?
Car si on se plonge dans l’Évangile, si on y plonge son esprit, sa raison, son coeur, sa vie, on ne peut éviter de prendre ses distances par rapport à ce monde pour le comprendre d’une autre façon que celle dont il se comprend lui-même, à partir d’une Parole qui lui est extérieure et qui le met radicalement en question.
Jésus est cet étranger inintégrable, qui finit sa vie rejeté par tous, vaincu, humilié, ridicule. Le Dieu dont il parle, dont il nous montre le visage, est et doit rester l’inconnu, l’étranger, qui fait de nous des étrangers, citoyens d’un monde parallèle « aux frontières du réel » ou de ce que chaque homme croît être le réel et qui est le regard d’une culture sur des personnes, des objets et des évènements dont la vérité profonde nous échappe (« la vérité est ailleurs »).
Et parce que notre rôle de chrétien est d’être des étrangers, nous ne pouvons qu’être proches de tous les étrangers, ceux qui viennent d’un autre pays, ceux qui ont une autre couleur, une autre religion, d’autres moeurs, d’autres références culturelles, mais aussi ceux qui sont étrangers parce que « pas dans la norme », ceux que notre société a isolés ou marginalisés dans des ghettos (prisons, hôpitaux, maisons de retraite, asiles, internats, etc…), et également ceux qui sont décalés par rapport à une image sociale de référence plus rigide et bornée qu’il ne paraît, par exemple les mous, les gros, les laids, les lents, tout simplement différents, quelle que soit leur différence.
Parce que notre rôle à nous est d’être différents, tous les différents sont nos proches, nos frères et nos soeurs.
Je pense pour ma part que notre christianisme est encore le meilleur (ou le pire) facteur d’étrangeté et d’inadaptation aux valeurs principales de ce monde, celles qui restent les plus naturelles et fondamentales, celles du droit du plus fort, du plus riche, du plus malin, celles des rejets de ce qui n’est pas conforme aux normes de la masse.
Si on a la folie de suivre -ou d’essayer- le chemin tracé par le Christ, dont le critère unique est l’amour, on ne peut être qu' »étranger et voyageur sur terre… »