Il me semble que trop souvent la théologie chrétienne a opposé l’humanisme (croire en la valeur de l’homme) et la foi chrétienne (croire en la gloire de Dieu). Certaines théologies se nourrissent même de cette alternative simpliste, de cet anti-humanisme et proclament une condition humaine radicalement négative et, ma foi, fort désespérante ! Je refuse d’opposer l’humanisme et la foi.Il suffit de parcourir les évangiles pour y constater que Jésus n’a jamais opposé choix de Dieu et choix des hommes. Il a lui-même fait les deux choix en révélant Dieu et en allant au-devant de tant de personnes en situation de souffrance.Il n’a jamais proclamé la déchéance de l’homme mais au contraire sa capacité à vivre en bonne intelligence avec Dieu, avec les prochains et avec lui-même : “Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… et tu aimeras ton prochain comme toi-même”.
Cette “triple alliance” (avec Dieu, avec son prochain et avec soi-même) a aujourd’hui une grande actualité.Il me semble que le christianisme a parfois insisté sur l’amour du prochain, en le définissant comme un abandon radical, en oubliant qu’il existe aussi l’amour de soi. Certaines de nos liturgies, pas si anciennes, contenaient par exemple l’affirmation que nous sommes des “misérables vers de terre, incapables par nous-mêmes de faire le bien”. Il est difficile, dans ces conditions, d’avoir une image positive de soi ! Inversement, notre société sait mettre en valeur l’amour de soi, parfois au détriment de celui des autres.Du “dépassement de soi” en sautant d’un pont les pieds accrochés par un élastique à la pratique de plus en plus courante des sports individuels et autres cosmétiques de la vie, tout est fait pour faire de moi un roi sans royaume, un empereur sur une îles déserte.
Comment alors trouver, retrouver, un équilibre entre amour de soi et amour du prochain ?Sachons déjà écouter ce que nous en disent les psychologues, sans croire que la foi chrétienne nous dispenserait d’une étude approfondie de nos comportements humains.Or, au-delà des questions d’écoles, il semble bien que la psychologie nous montre qu’amour de soi et amour des autres sont indissociables.Pour aller à la rencontre de l’autre, il me faut une image suffisamment positive de moi-même. Et c’est précisément la rencontre avec l’autre qui me permet de construire cette image de moi-même. L’autre m’est indispensable comme je suis indispensable à l’autre.Construire une identité humaine est affaire de rencontres.Je ne ressemble pas à une cellule en éprouvette stérile, je suis relié au monde.
À cette dialectique “moi/autre”, la foi ajoute un troisième pôle : Dieu. Cela me permet de renforcer la saveur des rencontres humaines.En effet, voir en tout être humain l‘un de ses nécessaires congénères, c’est bien, mais y voir une image de Dieu, n’est-ce pas encore plus “valorisant” ?Cela donne aussi un sens à la notion de création. L’être humain est la chose la plux complxe que nous puissions (pour l‘instant…) observer.La Bible affirme le rôle particulier attribué à l’être humain : il est la clef de voûte du projet de création. Mais il n’est pas seul : dans les deux récits de la Genèse, il est homme et femme.Autrement dit, loin d’affirmer la vacuité de la nature humaine, la foi biblique donne de la consistance à l’existence humaine. Au-delà de ses fragilités, parfois détournées en défauts, c’est bien l’humain qui est au coeur d’une compréhension spirituelle du monde.
Certes, l’homme n’est pas parfait ! Mais cette imperfection nous fait trop facilement conclure à une culpabilité permanente.Le péché serait notre lot quotidien et, pire encore, selon la doctrine (non biblique !) du péché originel1, notre prix à payer pour la faute de nos ancêtres.Nos mères et nos grand-mères ne nous auraient laissé comme seul héritage que la trace indélébile d’une impureté inexorable.On est ici à mille lieues de la haute considération dans laquelle Jésus tient tout être humain, homme ou femme, juif ou grec, homme libre ou esclave, bien portant ou malade.Jésus a fait le choix de la valeur humaine ; le chrétien doit, me semble-t-il, suivre cette trace. Jean-Marie de Bourqueney