L’essentiel ?

Après l’invention de la France d’en haut et de la France d’en bas il y a quelques années, voici qu’avec la pandémie, une nouvelle terminologie clivante a fait son apparition : les essentiels et les non essentiels, déclenchant il y a quelques mois une polémique, toujours en cours, peut-être moins virulente qu’il y a quelques mois – lassitude oblige…

Loin de moi l’intention de faire la leçon à qui que ce soit !  Me vient juste le désir de penser, une manière comme une autre de prendre l’air… Envie de voir un peu plus loin que le bout de mon nez, masqué, lui aussi. Car enfin, au-delà des mètres carrés autorisés, des week-end confinés, des couvre- feux aménagés, au-delà des « pour » et des « contre », nous voici tous mis au pied du mur, obligés de réfléchir à ce qui compte, à ce qui nous manque un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout…

La mesure gouvernementale qui a opposé les services essentiels aux non -essentiels a placé l’Hexagone face à une question (que ça plaise ou non) d’ordre spirituel : qu’est ce qui est « essentiel » et qu’est-ce qui ne l’est pas dans notre vie de chaque jour ?

Oui, nous voilà des millions obligés de nous interroger sur… l’essentiel, c’est-à-dire sur le sens.  C’est un scénario inédit : un grand oral de philo pour la France entière ! Moment unique, passionnant, urgent et rare : tous convoqués par une même question. Qu’est ce qui compte le plus ? De quoi avons- nous besoin ? Qu’est ce qui relève du superflu ? Où est le manque ? Où est le trop plein ? Y a-t-il des renoncements heureux ?

Les crises sociétales font toujours remonter à la surface les questions de fond, celles qui existent et demeurent, même si on ne veut pas les voir. C’est comme la liberté : quand on l’a, on l’oublie, quand elle vient à manquer, on y pense.

Qu’est-ce donc que l’essentiel ? Y aurait-il une même définition pour tous ? Existe-t-il un essentiel en commun ou bien chacun voit-il l’essentiel à sa porte ? Le philosophe dit : l’essentiel en ces temps de covid, c’est de penser. Le croyant : ce qui compte, ce sont les églises ouvertes. Le libraire dit : c’est la culture ! Les cafés : c’est la convivialité. Les musiciens : c’est la musique. Les artistes : c’est la beauté. Les poètes : ce sont les mots.

Et la Bible, que dit-elle ? A supposer qu’elle ‘dise’ quelque chose et parle d’une seule voix ! C’est un peu risqué… Tant pis. Voyons un peu… la traversée du désert, vous connaissez ? Nous y voilà en ce moment même, en cette période de carême. Mais nous ne sommes pas les premiers à y mettre les pieds !

Rappelez-vous le livre de l’Exode. Le peuple hébreu, enfin libéré de l’esclavage en Égypte, doit traverser le désert, guidé par Moïse, pour se diriger vers la terre promise. Très vite, la traversée des Hébreux prend des allures de confinement : que faire dans un désert dépourvu de tout horizon ? Hé, Moïse, où va-t-on, on tourne en rond, ça nous donne le bourdon.
Le peuple est libre, mais dans un désert, à quoi ça sert ? Libre mais bien amer, il a faim et rien d’autre à faire (Exode 16).

Qu’est-ce que c’est que ça ? dirent les Hébreux un beau matin, au sortir de leurs tentes, au milieu du

désert. La « chose » qui sera traduite par manne, était difficile à décrire. Elle ressemblait à des graines de coriandre, ou plutôt : à du givre. Elle était blanchâtre, avec un goût de miel. Cadeau de   la part de l’Éternel : de l’essentiel, venu du ciel. L’accueil fut mitigé. C’était l’aspect, le goût, l’étrangeté, un peu des trois. Mais quand on   n’a rien, c’est toujours ça. C’était une Manne pour Tous. Une manne   qui tombait chaque jour. Ça tombait bien, non ? Pourtant, les Hébreux murmuraient : « Avant, c’était mieux ! »

Et « avant », c’était comment ? Une vie d’esclaves. Soumis au Pharaon, ils travaillaient à la chaîne, ils « briquetaient des briques. « Oui, mais avant – marmonnaient-ils entre leurs dents – au moins, on mangeait bien ». Et la Bible de citer les menus : « Ah ! nos repas en Égypte, quel souvenir ! Le poisson gratuit, les concombres, les melons, les poireaux, les oignons et l’ail. Ici, rien de tout cela ; nous dépérissons à force de ne voir que de la manne ! » (Nombres 11, 5). Il faut croire que les Hébreux n’étaient pas si mal traités à l’époque. A moins qu’un peu d’ironie se soit glissée entre les lignes… Les Israélites ont-ils perçu la manne comme un pis-aller, un faute-de-mieux ou l’ont-ils reçue comme un essentiel pendant leur traversée du désert ? En tous cas, ils ne mourront pas de faim, ils seront nourris, jour après jour. Pas seulement de galettes au miel mais aussi d’autre chose. En effet, en hébreu, manne se prononce Mân hou, ce qui signifie littéralement : «quoi ça». C’est donc un questionnement qui donnera son nom à la manne. Ainsi, ce qui nourrira leur cœur pendant 40 ans, est une question, une interrogation… une parole. Une parole au ras du sol, à prendre ou à laisser. Une parole pour chaque jour, tombée du ciel… Tiens, ça me fait penser à quelqu’un d’autre… Pas vous ? Je l’entends dire : « je suis le pain vivant, descendu du ciel… Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra pour toujours ». (Jean 6, 51). « Mân hou » ? Quoi ça ? Une question. Voilà que tout s’éclaire : le Seigneur de la manne a rejoint les Hébreux sur leur chemin et les accompagne désormais. Pendant 40 ans, il leur donnera l’essentiel, il les nourrira de questions, de paroles, et non seulement de pain.

Et nous ? Depuis bientôt 365 jours, nous marchons dans un drôle de désert. Mân hou ? Quel est   cet essentiel qui nourrit nos journées et nos nuits ? C’est une Parole de Vie, à recevoir, à goûter, à apprécier et à partager sans modération. Une parole essentielle, venue du ciel, pour que nous fassions d’elle notre miel.

                               Titia Es-Sbanti, pasteure

  J’ai appris que…
« J’ai appris que le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité de la vaincre. Être libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ;
c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres »                                                                                             Nelson Mandela
 

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