Auteur : Charles Nicol
L’animal est omniprésent dans les récits bibliques. Il fait parfois l’objet de sacrifices de la part des hommes. Pourtant, Dieu considère le monde animal comme part entière de sa création. Dieu serait-il alors un végétarien contrarié par les humains ?
L’humain et l’animal : une relation ambivalente
Au chapitre I de la genèse, Adam et Ève se nourrissent de fruits et de légumes (Gn 1,29-30). Il en est de même pour les animaux qui n’avaient donc pas besoin de s’entretuer pour manger. On peut alors penser que le projet du Dieu créateur est végétarien, dans un environnement pacifique où les humains et les animaux vivront en harmonie. Au chapitre 2, il place l’homme dans le jardin d’Éden et lui ordonne de le cultiver et de le garder.
Au chapitre 3, sur les conseils d’un serpent, Ève déguste le fruit défendu. En conséquence, l’Éternel en colère les condamne à manger « à force de peine », l’herbe des champs (Gn 3,18-19). Puis tout bascule au chapitre 4 : leurs enfants, Abel, le berger, offre à l’Éternel un agneau et Caïn, le laboureur, une corbeille de fruits. On peut toujours se demander pourquoi Dieu a préféré l’offrande d’Abel à celle de Caïn… pourquoi a-t-il laissé attiser la rivalité entre l’éleveur et l’agriculteur… Car l’harmonie est détruite quand Caïn, jaloux, tue son frère Abel. Cependant, Dieu protège Caïn malgré son crime. Tout n’est donc pas perdu mais le mal est fait. La méchanceté des humains est telle que Dieu se repent d’avoir créé « l’homme jusqu’au bétail » (Gn 6,7). Il confie alors une mission à Noé pour purifier le mal : construire une arche dotée d’une seule fenêtre et y entrer afin de préserver la race humaine et des espèces animales d’une extermination complète (Gn 7,8). Il est intéressant de noter qu’à ce stade, la cause du mal semble en apparence liée à l’animal : le perfide serpent pour Ève, le don de l’agneau pour Caïn. Il est d’ailleurs curieux que, au xxie siècle, en période de Covid-19, ce soit encore l’espèce animale qui est mise en accusation : le pauvre pangolin et la chauve-souris accusés d’être à l’origine du mal pandémique.
L’homme biblique entretient une relation ambivalente avec les bêtes. Noé sauve plus l’espèce animale que les humains, dépêche le corbeau puis la colombe en éclaireurs pour s’assurer de la baisse des eaux. Et malgré cela, Noé offre des animaux en sacrifice et permet de manger leur chair à l’exception du sang, considéré comme âme et symbole de vie (Gn 9,5-6). Dieu accorde ainsi aux hommes un régime carnivore. À cet instant, Dieu a-t-il fait définitivement le choix d’autoriser la viande pour nourrir l’humanité et donc la mise à mort des animaux pour nourrir sa création ?
De nombreux épisodes de l’Ancien Testament attestent pourtant une bienveillance à l’égard du monde animal. Par exemple, dans le petit livre de Jonas, les animaux sont associés aux hommes dans le jeûne de Ninive (Jon 3,7-8) et Dieu atteste d’une attention particulière pour ceux qui peuplent la ville (Jon 4,11). Dans le livre d’Ésaïe, l’Éternel à nouveau en colère n’y va pas de mainmorte : il déclare ne plus en pouvoir des sacrifices et il ne « prend point plaisir au sang des taureaux, des brebis et des boucs » (És 1,11).
L’histoire de l’israélite Daniel est encore plus troublante (Da 1,1-20). En captivité à Babylone avec ses compagnons, Ananias, Misaël et Azarias, il demande qu’on ne leur serve que des légumes à manger et de l’eau à boire. « Au bout de dix jours, ils avaient meilleur visage et plus d’embonpoint que tous les jeunes gens qui mangeaient des mets du roi », (Da 1,15-16). Et ils entrèrent pour cette raison au service du monarque. Sur toutes les questions demandant sagesse et intelligence qu’il leur posait, le roi trouvait Daniel et ses comparses dix fois plus intelligents que tous les magiciens et devins de son royaume. Grâce au régime végétarien ? Cependant Daniel, victime d’une machination, est jeté plus tard dans la fosse aux lions. Mais les fauves ne lui font aucun mal (Da 6,22-23). D’aucuns présument qu’il fut épargné parce qu’il était végétarien à l’instar de Dieu à la création. Le raccourci est douteux, mais cette relation ambivalente entre l’homme et l’animal biblique, sous le regard de Dieu, est bien présente.
Enfin, comment ne pas être interrogé par le sort d’Isaac. Au moment où son père Abraham s’apprête à le sacrifier, il est sauvé in extremis par l’ange de l’Éternel. Un bélier, empêtré dans un buisson voisin, est sacrifié à la place du jeune Isaac. On vient de remplacer le sacrifice d’un humain par celui d’un animal (Gn 22,1-14). C’en est fini de ces coutumes ancestrales, où les pères avaient droit de vie et de mort et pouvaient si besoin immoler leurs enfants à une divinité. L’animal prend la place de l’humain et c’est déjà un immense progrès.
Quant à Jésus…
Notons que son cousin, Jean-Baptiste était revêtu d’une peau de chameau, mangeait des sauterelles et du miel. Toutefois, des exégètes pensent que les sauterelles dont Jean se nourrissait n’étaient pas des bêtes, mais des jeunes pousses d’herbes ou de plantes. Et, par ailleurs, la sauterelle est le fléau des déserts que l’on doit neutraliser et pourquoi ne pas s’en nourrir avant qu’elle-même se nourrisse des cultures. Quant au miel, il s’agirait d’une plante, le caroube, dont le goût sucré s’apparente à celui du miel.
À la première lecture des évangiles, Jésus est loin d’être végétarien. Il mange un poisson rôti avec du miel, il nourrit miraculeusement la foule au moyen de pains et de poissons, sans pour autant savoir s’il s’est nourri des poissons. Il abolit la frontière entre le pur et l’impur et autorise la consommation des aliments interdits par l’Ancien Testament, comme le porc, les crustacés et le lapin. Jésus déclare que toute nourriture, y compris animale, est pure. Et dans le même temps, il condamne les sacrifices d’animaux en chassant à coups de fouet les marchands du Temple.
Il n’y a rien de mal pour un chrétien de consommer de la viande ou d’être végétarien. Notre propos n’a pas pour objectif de culpabiliser l’amateur de bonne chère. Jésus n’a donné aucun commandement dans ce sens. Après tout, Paul, dans sa lettre aux Romains, nous dit que « Tel croit pouvoir manger de tout : tel autre, qui est faible, ne mange que des légumes. Que celui qui mange ne méprise point celui qui ne mange pas, et que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange, car Dieu l’a accueilli » (Rm 14,2-3).
Tout ce que nous décidons de manger est acceptable aux yeux de Dieu, tant que nous lui rendons grâce de nous l’avoir donné. Cela étant dit, un chrétien peut faire le choix d’être végétarien en pleine fidélité avec les écrits bibliques. Aucune nourriture n’est certes interdite mais la volonté du Dieu créateur dans la Genèse avant l’apparition du mal, est un régime végétarien.
Au-delà d’une lecture littéraliste de la Genèse, nous devons nous interroger sur la cruauté de l’élevage industriel qui s’apparente parfois à de véritables camps de torture pour les animaux. L’animal n’est plus alors une créature de Dieu, mais une « chose », un produit banal de consommation. L’humain n’est plus qu’une machine sans conscience et la bête une pâture pour le faire avancer. Faut-il le rappeler sans cesse : l’Éternel est le créateur des animaux comme des femmes et des hommes, et nous devons les respecter !
L’animal est-il l’égal de l’homme ?
La théologie classique pense que le paradis n’appartient qu’à l’espèce humaine. Mais dans la Bible, toute création n’aura-t-elle pas une place dans le royaume de Dieu ? Pour aller plus avant, nous devons aussi faire appel à la science et au bon sens. Nous savons désormais que l’on peut vivre sans consommer de viande. Dans nos cultures, de tout temps, la condition animale a été dégradée puisque l’imaginaire collectif considérait que l’animal n’avait pas d’âme et ne pouvait donc souffrir. Et les mentalités n’ont guère évolué.
Enfin, l’animal n’est pas seulement comestible. Qui n’a pas éprouvé du chagrin à la mort d’un animal de compagnie ? Le berger ne doit-il pas prendre soin de son troupeau ? Les animaux sont les créatures de Dieu qu’il nous est recommandé d’aimer. Nous avons une dette énorme envers cette création. Et je veux croire que le banquet eschatologique de la fin des temps nous réunira.