Mes roses rouges et jaunes se sont totalement ouvertes. Tandis que j’étais dans cet enfer, elles ont silencieusement continué à pousser. Beaucoup disent : comment peux-tu encore penser à des fleurs ?
Hier, quand j’ai marché le long chemin sous la pluie avec cette ampoule sous mes pieds, j’ai tout de même fait un détour à la fin pour chercher un fleuriste et je suis rentrée avec un grand bouquet de roses à la maison. Et elles sont là.
Elles sont tout aussi réelles que toutes ces horreurs auxquelles j’assiste en un jour. Il y a de la place, mon Dieu, pour beaucoup de choses dans ma vie. Et j’ai tant de place, mon Dieu… Quand je marchais aujourd’hui dans ces couloirs bondés, je ressentis d’un coup une pulsion qui me poussait à m’agenouiller au milieu du sol de pierre, entre toutes ces personnes. La seule action humaine qui nous est restée dans ces temps est l’agenouillement devant Dieu.
J’apprends chaque jour quelque chose sur les hommes, et je vois de plus en plus de place en chacun pour aider l’autre, et comment chacun se concentre de plus en plus sur ses propres forces intérieures. L’intérêt de la vie n’est pas seulement la vie, a-t-il dit, lorsque nous en avons parlé; le but est en fait de ne pas perdre notre intérêt pour la vie.
C’est un grand bazar là-bas, je me dis souvent. Mais soudain je me suis dit aujourd’hui; pourquoi j’utiliserais ce mot ? Il progresse dans l’atmosphère et ça ne rend l’atmosphère pas plus joli.
Etty Hillesum, le 21 juillet 1942; extrait de Het verstoorde leven (en français Une vie bouleversée); traduction en français: AA.
Image : camp d’internement Westerbork en 1942. Etty Hillesum y est envoyée fin juillet 1942 – en tant qu’employée du Conseil Juif. Elle sera à son tour déportée vers Auschwitz en septembre 1943 où elle meurt peu après.