Notre époque est à l’individualisme, dit-on. Le mot d’ordre serait : « il faut que tu t’en sortes. N’attend rien des autres. Réussis à la force du poignet. Accroche-toi et tu verras que tu as en toi tout pour accomplir tes rêves. » Un corollaire inquiétant de cet hymne au mérite est ailleurs le mépris des pauvres et des perdants de la vie. Ceux qui n’arrivent pas à sortir de leurs galères sont ceux qui ne le méritent pas. Ils n’ont pas su mobiliser leurs énergies et leurs talents : tant pis pour eux, car personne ne peut le faire à leur place. Le paralysé de la Belle Porte du Temple de Jérusalem « a été sauvé ». Il ne s’est pas sauvé tout seul, à force de rééducation ou de mendicité. Dans la bouche de Pierre, Jésus le Nazaréen « a été crucifié par vous, et ressuscité par Dieu ». Comme une balle de ping-pong, Jésus est d’abord livré à la foule, avant d’être délivré par son Père.
Il a été « rejeté » puis il fait « pierre d’angle »(Ac 4,8-12). La résurrection n’est donc pas à mettre à l’actif de Jésus, mais de son Père, et au passif de la foule. Personne ne se ressuscite lui-même. Personne, encore moins le Fils unique, celui qui choisit de se recevoir sans cesse d’un Autre avec qui il ne fait qu’un. D’où le paradoxe de l’évangile de Jean, où Jésus semble affirmer que c’est lui qui fait tout : « je donne ma vie, pour la reprendre ensuite », avant de préciser qu’il ne le fait qu’en communion avec son Père, de qui il reçoit la force et la puissance pour traverser la mort : « voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père ». Souvenons-nous que la dernière tentation du Christ sur la croix, c’est justement de renoncer au passif, pour tenter de survivre tout seul. Par trois fois (cf. les trois tentations au désert), on lui
suggère
sur la croix : «
sauve-toi toi-même ».
Il refusera jusqu’au bout, parce que sa vie c’est de se recevoir
et non de prendre.
Le verbe ressusciter devrait
donc, du côté du Christ comme du côté des hommes, se conjuguer
toujours au passif. Personne ne peut se ressusciter lui-même. Pour
Dieu seule la résurrection est un actif. Du coup, c’est l’ensemble
de la vie chrétienne qui est placée sous le signe du passif :
être
sauvé, être
aimé, être
appelé. Comme la vie humaine d’ailleurs : personne ne s’est fait
naître lui-même. On
est d’abord conçu avant
de concevoir, parlé avant
d’éduquer, aimé avant
d’être aimé.
Ce passif est au cœur de la résurrection du
Christ, et donc de la nôtre. Les conséquences de ce passif
résurrectionnel sont pour nous immenses.
Non
il n’est pas vrai que chacun doive s’en sortir seul, en comptant
sur ses seules forces. Non il n’y a pas de loi d’airain qui
condamnerait les pauvres ou les vaincus de cette société à ne s’en
prendre qu’à eux-mêmes.
Le
vrai salut est de pouvoir compter sur d’autres. Cela
peut paraître humiliant, puisqu’on nous répète à l’envi que
c’est une faiblesse coupable. Mais cela se révèle humanisant,
parce qu’on apprend ce qu’être aimé signifie.
Être
ressuscité, c’est recevoir de l’autre le courage de se relever.
C’est faire l’expérience d’une dette que je ne pourrai
rembourser qu’en ressuscitant à mon tour quelqu’un qui ne pourra
pas me le rendre.
C’est finalement recevoir de Dieu la force
de vaincre la mort, quel que soit le visage que celle-ci prend en
nous et autour de nous. Acceptons de verser cette capacité
résurrectionnelle à l’actif de Dieu, à notre propre passif. Cela
passe par l’appui sur d’autres, la confiance, l’ouverture, la
confidence, l’humble appel à l’aide…
Pâques est une fête pour ceux qui acceptent de recevoir.
Rédouane Es-Sbanti, pasteur