Il est douteux que les Écritures bibliques aient connu ce que nous, nous appelons l’âme. Tout traducteur de la Bible hébraïque, en effet, se trouve devant l’impossibilité de traduire correctement le mot hébreu nèfèch. Faute de mieux, on emploie souvent le mot âme, mais on risque de créer une confusion grosse de dangers spirituels. C’est que le mot âme désigne plutôt pour nous un principe immatériel et éternel qui habiterait dans un corps matériel et périssable. Il n’en est rien pour le terme hébreu, et c’est à la suite d’une longue histoire, sous l’influence de courants de pensée venus d’ailleurs, que le christianisme a pu se tourner vers une représentation dualiste : pureté immatérielle de l’âme mise en danger de pécher à cause de la grossière impureté de la matière… Pour l’Ancien Testament, on n’a pas une âme, on est une âme, un nèfèch… et bien d’autres choses encore, qui constituent le tout indissociable de tel être et de nul autre. La langue hébraïque, d’ailleurs, utilise souvent ce même terme comme pronom personnel : mon nèfèch, c’est « moi-même ». Le nèfèch est en effet le lieu des sensations et des affects, ainsi que des mouvements qui leur sont associés : En moi, mon âme s’est affaissée, ô mon Dieu, c’est pourquoi je t’invoque – Mon âme tremble de joie à cause de mon Dieu. Il y a là une volonté obstinée de considérer l’être humain dans son unité, au-delà de la diversité de ses manifestations, et cela a pour moteur et pour visée de faire de lui un « vis-à-vis », un être relationnel unique dont le partenaire est le Seigneur-Dieu. Ainsi, quand il est écrit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force, il s’agit d’envisager la même personne de trois manières : du côté du discernement (c’est la fonction du cœur, en hébreu), de la sensation vécue (l’âme), de l’énergie vitale (la force)…Mais c’est du même être mortel qu’il s’agit, appelé à un face-à-face positif avec le Dieu unique. Le Nouveau Testament est lui aussi attaché à l’unicité de la personne humaine. L’âme y est une des manifestations de la personne, celle qui la montre vivante, douée d’une volonté propre et d’une conscience de soi. Et la vie qui est en elle lui vient, non d’elle-même, mais de la volonté particulière de son créateur. Née un jour, non du néant mais de simples éléments épars dans la création, et ceci par un acte créateur intentionnel, la personne elle-même, l’âme, retourne donc à l’épars et à l’indifférencié – « à la poussière » – au moment de sa mort, et disparaît en tant que telle. Il n’y a pas plus d’immortalité de l’âme dans le Nouveau Testament que dans l’Ancien. En revanche, le Père céleste tient tant aux humains, qu’il désire faire de chacun d’eux les invités d’une création nouvelle. Dans cette vie retrouvée, rien de leur mémoire ne sera ôté, même si leur « soi » devra se manifester sous d’autres modalités. Ils entreront dans une nouvelle histoire. C’est ce qu’on constate dans les récits évangéliques où apparaît le Christ ressuscité, à la fois parfaitement lui-même et cependant tout autre : libre à l’égard de l’espace et du temps, suprêmement vivant, d’une vie qu’on n’a su exprimer dans nos termes que par ces mots : « la vie éternelle ».
Jean ALEXANDRE
Prière d’Espérance :